Où allons-nous ? Impossible de vous le dire précisément
À quelle époque ? À la fois contemporaine et intemporelle
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Sény a neuf ans. Il fait bon vivre dans son village, au milieu de la nature et de tout ce qu’elle a de plus simple à offrir. Sa vie d’enfant, il la passe en compagnie de ses amis de toujours : Yulia (dont il est secrètement amoureux), Adar, Soundjata et Déhiha. L’existence heureuse du garçon bascule du jour au lendemain : son père et sa mère l’habillent de vêtements et de chaussures tout neufs et le conduisent à l’aéroport. Sény a pour seul bagage une valise en carton.
« Bien sûr que ça existe les valises en carton ! Juré, craché ! Même qu’elles sont légères comme une aventure – tellement qu’aujourd’hui, on se sait plus fabriquer ces bagages d’un autre siècle. Celle-là, « ma mienne », était bleue comme une orange, avec les bords en métal pour protéger les angles des bornes kilométriques et une poignée noire en plastique, parce que ça peut toujours servir. » (P.12)
Sény ne veut pas quitter sa famille, ses amis et ce pays qui est le sien, son "chez lui", mais pour le protéger, ses parents ne lui laissent pas le choix. Il doit s’en aller, loin, traverser le ciel et l’océan, rejoindre Tonton Chu-Jung, Tata Belladone et son cousin Aly, à l’autre bout du monde, « au pays des Hommes Pressés ». C’est la seule issue possible en ces temps troubles. Un danger approche. Plus personne n’est en sécurité.
« ̶ Mon grand garçon. Ce n’est pas une punition : c’est une récompense. Tu vas de l’autre côté du monde. Qu’est-ce que j’aimerais être à ta place ! L’Odyssée d’Ulysse ou les voyages de Gulliver, ce sont des promenades de santé à côté de ce que tu vas vivre ! Je suis sûr que sur ta route, tu apercevras le titan Atlas portant la voûte céleste sur ses épaules… Oh, la chance ! » (P.40)
À mon humble avis :
J’ai littéralement englouti ce roman, en quelques heures. Elles sont passées à la vitesse de la lumière et des astres qui tapissent l’univers de ce livre. Je suis tombée sous le charme de l’écriture d’Insa Sané.
Tout d’abord, son texte est empreint à de très belles sonorités. Il sait parfaitement jouer avec les mots et les rythmes afin de rendre son texte d’une fluidité et d’une harmonie incroyables. De Cheikh Anta Diop à Homère, en passant par Victor Hugo, l’auteur dispose de ressources et références littéraires qui semblent inépuisables.
Ensuite, on ressent vraiment la profondeur des émotions vécues par des personnages principaux. Insa Sané investit le mental et l’émotionnel d’un petit garçon de neuf ans qui va devenir un fabuleux héro, prêt à relever des défis magiques et incroyables pour tenter de sauver ses amis, sa dulcinée et lui-même.
« Oui ! À neuf ans, les sourires que nous offre la vie peuvent nous rendre dur comme fer. Je le sais, parce qu’à neuf ans on est une branche fragile, même quand on donne de l’âge à ses moustaches. À neuf ans, l’univers est aussi vaste qu’un jardin enfoui sous terre. À neuf ans, le monde que l’on chérit a le visage de « mon amoureuse ». Je le sais parce que j’ai neuf ans et que… oh, Dieu que je l’aime ! » (P.107)
Un conseil : lisez ce roman avec un cœur d’enfant et laissez-vous emporter dans les aventures de Sény et de ses compagnons. Vous l’avez déjà fait lorsque vous lisiez les épopées de Peter Pan au pays imaginaire, que vous embarquiez aux côtés du Petit Prince ou que vous avez découvert les péripéties de John Rackham, Anne Bonny ou encore Mary Read. Eh bien, faites-en autant avec Sény, et votre voyage littéraire n’en sera que plus extraordinaire à travers ce conte moderne époustouflant.
Insa Sané dans le texte, c’est un florilège culturel et sémantique, une histoire à la fois très vraie et profonde à laquelle il a su, avec une grande dextérité, assembler les mythes et légendes du monde, et ce, dès le départ de l’histoire du petit Sény.
Ce qui fait la différence :
Avec l’auteur, vous vous poserez incontestablement cette question : « c’est quoi, chez moi ? ». Ce à quoi Insa Sané vous répondra à travers les paroles de Sény :
« Chez moi », il y a la famille que j’ai choisie. « Chez moi », c’est un bol juste assez grand pour y faire tenir le monde. « Chez moi » se danse sur des airs de tra-la-li-la-lère, en tapant sur des bidons ou sur les peaux y a la poussière qui s’évapore. « Chez moi », l’ennui à la lumière et à l’ombre de midi et quart attend que repousse la queue des lézards. « Chez moi s’écrit en langue indigène, c’est ce lieu dit comme on est, alors d’abord « Chez moi » se crie avec le cœur ! » (P.79)
Vous trouverez sur Internet certaines critiques littéraires au sujet de ce roman qui le situe en Afrique et en France, de par les origines et le vécu personnel de l’auteur. Pour ma part, je préfère ne pas situer le roman dans un contexte géographique bien déterminé, car j’ai le sentiment que c’est ce que souhaitait Insa Sané. En effet, à aucun moment, il ne cite un pays ou même un continent en particulier dans son texte. Tu seras partout chez toi, c’est une valse, non, plutôt un tango, en trois temps. Il y a le temps de là-bas, le temps d’ici et puis temps de nulle part. Et en trame de fond, un leitmotiv : partir. Mais pour aller où exactement ?
Entre déracinement et quête de soi, Tu seras partout chez toi restera l’un des plus beaux textes que j’aurai eu le plaisir de découvrir cette année. Et avant de vous quitter, je reprendrai le début de l’ouvrage et ses quelques mots de Sény, insufflés par Insa Sané :
« Si tu dois t’en aller pour toujours, pars avant l’aube ! Très tôt. Ne te retourne pas. JAMAIS ! Tant pis pour les larmes. Tant pis pour nous. Tu m’aimeras plus loin. Je t’aimerai ailleurs. On s’aimera toujours. Demain sera heureux. Promis ! Juré ! » (P.11)
Belle lecture à vous et bravo à l’auteur !
216 pages / Novembre 2012 / Aux Éditions Sarbacane Collection Exprim’
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