XVIIème siècle. Ile de la Barbade. Faite prisonnièe par la traite négrière, Abena, la mère de Tituba est violée par un marin lors du voyage. Ainsi débute le roman de Maryse Condé. Lorsque l'esclavagiste qui la fait travailler pour lui se rend compte qu'elle porte un enfant, il la chasse de ses terres, et, pour la punir, la donne à "un des Ashanti qu'il avait acheté en même temps qu'elle, Yao". L'Ashanti sera bon avec Abena et sa fille, Tituba.
"Ne pleure pas. A partir d'aujourd'hui, ton enfant c'est le mien. Tu m'entends ? Et gare à celui qui dira le contraire." page 17
Un jour où Tituba n'a encore que cinq ou six ans, et qu'elle revient des champs avec sa mère, elles tombent sur Darnell Davis, la pourriture d'esclavagiste qui avait chassé Abena lors de son arrivée à la Barbade. Sans aucun état d'âme, il tente de violer Abena sous les yeux de sa fille. Abena attrape un coutelas et frappe à deux reprises. Mais, malheureusement, elle ne le tue pas.
"On pendit ma mère. Je vis son corps tournoyer aux branches basses d'un fromager. Elle avait commis le crime pour lequel il n'est pas de pardon. Elle avait frappé un blanc. Elle ne l'avait pas tué cependant. Dans sa fureur maladroite, elle n'était parvenue qu'à lui entailler l'épaule." page 21
Et pour punir l'époux qui avait veiller sur elle et sur sa fille, Davis vend Yao à un planteur qui habite de l'autre côté de l'île. Mais "Yao n'atteignit jamais cette destination. En route, il parvint à se donner la mort en avalant sa langue." Quant à Tituba qui a à peine sept ans, elle est chassée de la plantation. Elle est recueillie par une vieille femme du nom de Yetunde.
"Elle semblait braque, car elle avait vu mourrir supplicié son compagnon et ses deux fils, accusés d'avoir fomenté une révolte. En réalité, elle avait à peine les pieds sur notre terre et vivait constamment en leur compagnie, ayant cultivé à l'extrême le don de communiquer avec les invisibles. Ce n'était pas une Ashanti comme ma mère et Yao, mais une Nago de la côte, dont on avait créolisé en Man Yaya, le nom de Yetunde. On la craignait. Mais on venait la voir de loin à cause de son pouvoir." page 22
Mais lorsque Tituba a quatorze ans, Man Yaya décède. A la même époque, Darnell vend la plantation. Un nouveau maître achète la terre et les esclaves de Darnell sont revendus au quatre coins de l'île, arrachant ainsi de nouveau la fille de sa mère, le mari à sa femme. Tituba fuit vers une région marécageuse de l'île, et surtout, peu propice à la culture de la canne à sucre. C'est là qu'elle vivra les moments les plus heureux de sa vie, en liberté, et entourée par ses invisibles: "à intervalles réguliers nous nous recueillons pour communier dans leur souvenir. Ils sont là, partout autour de nous, avides d'attention, avides d'affection." page 24
Mais cela, elle ne le réalisera qu'après un long périple qui l'emmènera jusqu'aux confins du village de Salem, à vingt miles environ de Boston. Là-bas, on la maltraitera dans sa chair et dans son âme, on l'accusera et l'écrouera dans le cadre du fameux procès des sorcières de Salem.
Le procès des sorcières de Salem est un fait historique qui s'est déroulé entre 1682 et 1693, dans le petit village de Salem, dans le Massachusetts. Près de 150 personnes furent arrêtées, emprisonnées, torturées et accusées d'avoir signé un pacte avec le diable pour s'en prendre aux enfants et aux habitants du village. Bref, un sombre règlement de compte pour lesquelles les générations futures demanderont pardon. Parmi les accusés à tort, 19 personnes moururent pendues, une fut lynchée à mort et beaucoup d'autres périrent à cause des conditions épouvantables de détention (famine, hygiène, froid, torture). Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à lire l'article du National Geographic, Les procès des sorcières de Salem : entre mythe et réalité.
Maryse Condé est née à Pointe-à-Pitre (Antilles françaises) en 1937. C'est une journaliste, professeure de littérature et écrivaine à la renommée mondiale. Elle est devenue célèbre notamment pour cet ouvrage dur et poignant dont on ne sort pas ndemne, mais aussi pour Ségou (qu'elle a publié juste avant celui-ci), un roman d'Histoire qui retrace le destin de trois frères à travers la chute du royaume Bambara.
Pour la petite histoire, en 1969, elle passe une année au Sénégal. Elle travaille au départ comme traductrice, puis comme enseignante pour le compte du ministère de la coopération française. Elle enseigne alors dans le lycée Gaston-Berger de Kaolack, dans le Sine Saloum.
Avec Moi, Tituba sorcière noire de Salem, elle reçoit en 1987 son premier prix littéraire, le premier d'une longue série : le Grand Prix littéraire de la femme.
243 pages / sorti pour la première fois en janvier 1986, aux éditions Mercure de France.
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