Où allons-nous? En France (dans la région lyonnaise) et quelque part en Afrique, au Mwanza
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question:
Dès le début de ce roman, vous vous retrouverez plongé(e) dans une atmosphère palpitante. Vous sentirez le danger rôder. De par la végétation environnante, vous en déduirez que vous avez atterri quelque part en Afrique, à dix heures de route de Luangwa, au Mwanza (un pays qui n’existe pas dans la vraie vie - ne le cherchez pas sur un planisphère - vous ne le trouverez pas!). Vous vous immiscerez dans une conversation entre un certain Lionel, un jeune Toubab qui semble s’être perdu au fin fond de cette contrée, et Mère Marie-Angélique, une femme pieuse, à la foi inébranlable, originaire de la région. La religieuse explique au jeune novice l’Histoire sombre de son pays, entre guerres ethniques et oligarchie.
« En 62, Adama, qui redoutait les rebellions à travers le pays, s’en est servi, il leur a assuré l’impunité, leur a fourni des armes, de l’alcool et de la drogue, ils ont prospéré… Puis le désordre et la misère ont suscité des vocations, les bandits sont devenus une vraie force clandestine à la solde d’Adama. C’est alors que Théodore s’est proclamé Colonel. Le sobriquet « sans-peurs » est venu après, pour impressionner les hommes. »
Mais pour réellement comprendre l’histoire extraordinaire de La femme de destin, il faut revenir une année en arrière, lorsque Lionel s’appelait encore Marc Faugier, de son vrai nom, et qu’il travaillait en tant que comptable dans une société lyonnaise du nom de Kapitol, appartenant à un certain Duperrier, alias « l’Ogre ».
« «L’ « Ogre », comme il l’appelait, était rentré d’Afrique une vingtaine d’années plus tôt, les poches pleines, et, inspiré par la crise du logement qui laissait dans la rue des milliers de familles, il avait plongé avec grand talent dans l’eau trouble des affaires immobilières. Duperrier avait du nez, et peu de scrupules. Il était une force de la nature, un self-made-man. Nul n’ignorait, chez Kapitol, qu’il travaillait à coups de pots-de-vin et d’intimidation. On chuchotait qu’il avait noyé dans le béton des villas romaines et des mosaïques de deux mille ans pour ériger les cages à lapins qui logeaient la population ouvrière. »
À mon humble avis:
Ce roman de Jo FREHEL est un pur joyau, digne des meilleurs best-sellers de la littérature contemporaine! Son style littéraire est parfaitement fluide et maîtrisé et l’histoire vous tient en haleine du début à la fin. L’auteure vous fait voyager d’un continent à un autre avec une grande connaissance du terrain, de l’Histoire, des us et coutumes et de certaines politiques abusives, prêtes à sacrifier sur l’autel du profit et de la cupidité ses populations innocentes.
Parlons maintenant des personnages principaux (et uniquement des principaux, car vous en rencontrerez beaucoup dans cet ouvrage de 350 pages !). Ils sont extrêmement bien décrits, ce qui permet immédiatement de les matérialiser dans notre esprit de lectrice/ lecteur. Ils ont (presque tous) des tempéraments bien trempés et beaucoup de suite dans les idées. Ils (plutôt elles) savent ce qu’ils veulent et sont prêts à tout - même au maraboutage - pour arriver à leurs fins.
Ce qui fait la différence:
Entre croyances roms et incantations animistes, Jo FREHEL nous embarque dans une danse dangereusement envoutante, aux rythmes des tam-tams d’Afrique et des amulettes mystiques d’une vieille bohémienne du nom de Carmen.
« La caravane était très encombrée. Autour d’eux, des chandelles éteintes, des sachets mystérieux suspendus à des ficelles, des images de Bouddha, de la vierge, des dieux hindous, des objets religieux de toutes sortes se mêlaient en une symbiose surprenante. Marc était impressionné. […] Elle le regarda un temps sans rien dire de ses yeux profonds aux paupières tombantes. Il sembla à Marc qu’elle voyait à travers lui, qu’elle savait tout, soit par divination- il était prêt à y croire - soit par intuition et que ce regard lui souriait avec indulgence. »
Je me suis énormément attachée à Pierre, un homme d’un certain âge, seul, cultivé, bienveillant et très protecteur vis-à-vis de Marc et de son bonheur. Pierre, c’est en quelque sorte le père de substitution de Marc. Il est toujours bienveillant à son égard. C’est un homme bon et discret, comme on a envie d’en avoir un dans la vraie vie.
« - Je plaisante, vous l’aurez compris, chère Mademoiselle, Marc est comme mon fils, et croyez bien que je me réjouis lui et pour vous… Je vous laisse vous installer et, si le cœur vous en dit… Mais seulement si le cœur vous en dit… Redescendez chez le vieil ours dans une paire d’heures, il aura mis la table. » (Pierre)
Parlons maintenant de la belle et sulfureuse Marguerite M’Bati à laquelle Marc succombera sans retenue aucune, dès le premier regard. Marguerite possède un très lourd passé dont elle n’a aucune envie de s’alléger, bien au contraire, car pour elle, la lutte contre l’oppresseur de sa tribu (les Balas) au Mwanza ne fait que commencer. Elle cherche à tout prix à venger les siens, persécutés et massacrés par un gouvernement sanguinaire et dictatorial, un gouvernement cautionné et épaulé financièrement par la France…
« ̶ Toi, tu ignorais même l’existence de mon pays! Renvoya-t-elle, agacée (Margie) […]
̶ Que pouvons-nous faire? (Marc) […]
̶ Tu sais, c’est un beau pays, c’est un beau pays, avec une lagune poissonneuse, du sable blanc, et puis, la grande forêt, bruissant de vie… Tu ne peux pas imaginer ce que c’est… J’aimerai tant retourner chez moi, voir les quelques parents qui me restent… […] Je voudrai tant aider les miens… Sais-tu qu’ils se battent avec des machettes quand les sbires d’Adam ont des fusils mitrailleurs… C’est tellement cruel, et injuste! Je devrais être auprès d’eux.» (Margie)
Et puis, il y a Marc, bien sûr, qui deviendra Lionel par la force des choses (ou celle du destin…). Le jeune héros de Jo FREHEL va vivre des émotions très fortes et éperdument intenses. Il va tomber follement amoureux d’une femme qui va l’entraîner très loin, au sens propre comme au sens figuré, tout en se demandant : « Est-ce ma « Femme de destin », celle qui m’attendait, moi « le Petit Blanc, pas solide » ?
Démonter les clichés et les stéréotypes, mener la vie dure aux âmes trop sensibles, courir après des chimères, tenter de réécrire l’Histoire au nom de l’Amour et des siens, du pardon ou de la vengeance, chercher sa « femme de destin », penser l’avoir acquise, abandonner tout le reste au nom de l’Amour, s’abandonner soi-même au milieu de nulle part, trouver sa véritable vocation au plus profond de la souffrance et de l’abnégation après avoir vécu l’Enfer sur Terre. Voici une partie infime de la route littéraire que vous vivrez à travers l’écriture de Jo FREHEL. Mais pas que… Vous avez encore tellement à découvrir avec cette auteure talentueuse !
Bravo à l’auteure et belle future lecture à vous.
358 pages / octobre 2018 / Bookelis
Retrouvez également Terra Australis (Tome 1 et Tome 2) chroniqués sur le site.
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