Où allons-nous ? Au Sénégal, de Dakar à Ndiader, ainsi qu’en Espagne
À quelle époque ? Il s’agit de quatre nouvelles contemporaines
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Safieh entre dans sa nouvelle demeure, celle de celui qui depuis quelques heures est devenu son mari, Mor. S’en suit leur nuit de noces à l’issue de laquelle le mari doit présenter le drap nuptial, couvert du « sang royal ». Oui, mais voilà, aucune effusion, ni sanguine ni sentimentale, ne sortira de cette nuit.
« ̶ Quelles sont ces bêtises que tu racontes ? Avec tous les chants que tes tantes ont entonnés hier pour parler de ta dignité, je découvre que tu es loin de tout cela ! Qu’as-tu donc fait de ton sang royal ? » P.17
Nafissatou a épousé Seydou par amour, malgré quelques mises en garde qu’elle a préféré ne pas prendre en considération. Parfois, on se laisse aveugler par les sentiments. Mais rapidement, elle découvre que l’homme qu’elle a épousé est très violent. De plus, il a tendance à se droguer régulièrement. Nafissatou va appeler « au secours », mais sera-t-elle entendue ?
« Elle venait une fois de plus de se faire brutaliser par Seydou, son conjoint. Elle qui était si belle auparavant ressemblait maintenant à une loque humaine. » P.39
Penda a quitté sa famille pour suivre Ibnou, son mari, jusqu’à Madrid, une ville dans laquelle elle ne connait personne. Avant de l’épouser, Penda ne l’avait jamais rencontré. Leurs échanges s’étaient limités à une correspondance durant quelques mois via les réseaux sociaux. Rapidement, en Espagne, à ses côtés, elle découvrira par sa faute l’enfer sur Terre. Prisonnière de cette union, elle se retrouve alors dans une situation diaboliquement inextricable. En sortira-t-elle vivante ? À quel prix ?
« Tous les jours, Ibnou Mbodj obligeait son épouse à faire le trottoir pour lui rapporter de l’argent. » P.62
Roky a quinze ans. Elle vit dans son village, à Ndiader, au sein la concession familiale. Malgré le fait qu’elle soit mineure et pour raisons financières, son père décide de la marier de force à un riche commerçant du coin qui à l’âge d’être son grand-père. Aidée de son frère, Babou, elle prend la fuite et se retrouve à la capitale, complètement livrée à elle-même.
« C’est dans ce capharnaüm que Roky s’immisça. Serrant son sac contre sa poitrine, elle regardait à gauche et à droite, en pressant le pas. Elle ne savait nullement où se rendre à présent. » P.100
À mon humble avis :
Ndèye Fatou Ndiaye signe, à travers ces quatre itinéraires de la vie de jeunes femmes sénégalaises, son second roman. Déjà dans La Concession, l’auteure avait su frapper très fort pour un premier roman, mais ici, elle marque encore plus la pensée du lecteur. Et je peux vous garantir que vous ne lâcherez pas ce livre avant de l’avoir terminé.
« En un instant, elle s’empara d’un couteau qui trainait sur la table, en le pointant vers son père. » P.30
Vous vous attacherez profondément à ces quatre femmes. Vous aurez envie de les prendre dans vos bras et de leur dire : « Tout va aller mieux maintenant. Repose-toi sur mon épaule. Je suis là. Tu as fini de lutter. ». Mais aurez-vous encore la possibilité de le faire ? À force de rester muet à la souffrance de l’autre, on continue de le laisser s’exposer, parfois jusqu’à l’irréparable.
Une route sans issues et sans retour possible. Des vies parties en éclat à cause du silence des uns, de l’inaction des autres. Des vies de profondes souffrances. Des vies innocentes qui ne demandaient qu’à être aimées.
« Le silence de la foule était assourdissant. Ce silence était le même que celui de la famille de Nafi lorsqu’elle se plaignait de la maltraitance dont elle faisait l’objet. » P.59
Ce qui fait la différence :
L’auteure nous annonce la couleur dès l’avant-propos de son roman : « Ce livre que vous tenez entre les mains n’a qu’un seul rôle : briser la muselière afin de lever le rideau sur ce qui était jadis hypocritement maquillé d’un discours de bienséance. Ce rideau levé, le voile enlevé, nous verrons que dans nos sociétés, sous nos yeux, se jouent des faits inadmissibles qu’il faut dénoncer. » P.11
Et c’est ce que fait Ndèye Fatou Ndiaye tout au long de son roman avec beaucoup de courage et d’engagement pour la cause féminine : dénoncer. Dénoncer l’inadmissible, dénoncer l’impardonnable, dénoncer le silence des uns, dénoncer la complicité des autres.
« ̶ Penda, je suis une femme âgée maintenant. Depuis que ton père nous a quittés, je tente par tous les moyens de subvenir à vos besoins. […] Mais regarde autour de toi, regarde notre maison, si délabrée. Si Ibnou t’épouse, tu pourras te rendre en Espagne et nous envoyer beaucoup d’Euros. » P.64 / P.65
À travers ce roman composé de quatre nouvelles, vous irez à la rencontre de ces quatre femmes venues d’horizons différents, qui ne se rencontreront peut-être jamais, mais qui partagent tant : la souffrance, le sentiment profond d’injustice, le manque de soutien de la part de leurs proches.
Safieh, Nafissatou, Penda et Roky sont les représentantes personnifiées de la souffrance sous toutes ses formes que les femmes subissent. Elles sont nos sœurs, elles sont nos filles, elles sont nos voisines. Elles sont cette jeune fille que vous venez de croiser dans la rue à l’instant-même et qui doit aller puiser dans une force, un courage surhumain, pour affronter chaque jour que Dieu fait, semé de monstres et de faux-semblants.
Une fois de plus, je ne peux que féliciter l’auteure accomplie qu’est Ndèye Fatou Ndiaye pour sa plume littéraire et son engagement pour la cause des femmes. Ce livre avait besoin d’être écrit et Ndèye Fatou Ndiaye l’a fait, avec témérité et brio. Lorsque vous refermerez cet ouvrage, vous serez bouleversé(e), mais vous aurez.
Bravo à l’auteure et belle lecture à vous !
129 pages / octobre 2019 / Aux éditions de l’Harmattan Sénégal
Retrouvez également sur le site la chronique de La Concession.
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