Où allons-nous ? En Afrique (dans un pays issu de l’imaginaire littéraire de l’auteure) et à Paris.
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Sally est une jeune-femme curieuse, pétillante et belle qui vient de fêter son vingt-troisième hivernage. Originaire du Soubel, l’une des plus belles régions d’Adiyo, un pays imaginaire d’Afrique occidentale, elle effectue un voyage à Paris durant lequel elle fait la connaissance d’Alfred, un jeune écrivain du même âge, à moitié originaire du même pays qu’elle. Mais contrairement à Sally, Alfred n’est jamais allé au Soubel, car il a été élevé par ses grands-parents maternels, en France. Rapidement, les deux personnages tombent sous le charme l’un de l’autre, mais Sally doit rentrer dans son pays et au vu de sa situation familiale, elle ne peut se permettre de déshonorer son héritage en cédant sans retenue aux avances charnelles d’Alfred.
« Certaines aventures ne sont-elles pas qu’instants volés au temps ? L’espace d’un moment, l’on vit en rêve jusqu’à ce que le temps qui était l’allié devienne l’ennemi jaloux et vous rappelle à la réalité. Certaines seulement cependant, car peu de temps après qu’elle fut rentrée dans son terroir, j’eus la surprise de recevoir une lettre d’elle. » (Alfred à la P.66)
« En grandissant, je compris que notre famille tenait une place de choix dans la société. Un peu de noblesse, beaucoup de religiosité. L’on nous témoignait une déférence, non une vénération, qui toujours m’indisposait. Dans les cérémonies officielles, Grand-Mère tenait toujours la place d’honneur. Elle ne se déplaçait qu’exceptionnellement, arrivant la dernière, repartant la première, la marque des rois. » (Sally à la P.21)
Sally rentre dans son pays lointain et débute une correspondante féconde avec Alfred. À travers ces lettres, elle lui décrit la beauté de leur pays commun, mais aussi les derniers évènements venus déchirer le voile du calme et de la paix qui jusqu’alors bénissait l’odyssée des lieux : le terrorisme !
« Une déflagration déchira le silence de la nuit, arrachant du lit les derniers levés, tandis qu’une gigantesque boule de feu émergeait du sol, grossissant vers le ciel à l’endroit précis où un instant plus tôt se dressait fièrement la maison de Dieu. La boule de feu retomba et avec elle, des morceaux de chair sanguinolents. » (Sally à Alfred P. 99)
À mon humble avis :
Le dernier roman de Falia (l’auteure ayant fait ici le choix d’écrire sous un pseudo) est formidablement bien écrit. En effet, j’ai rarement eu à lire un roman contemporain aussi riche et soigné. Les références, à la fois religieuses, littéraires et philosophiques, y sont si vastes et nombreuses qu’il me semble impossible de les résumer, sous peine de les amputer de leur grandeur et de leur richesse !
Dans « Ci-gisent nos Dieux », j’ai beaucoup appris sur la religion musulmane, ses us et coutumes, sa pratique et son application, de génération en génération, dans le respect des textes sacrés.
La plume y est grandement soignée. Les envolées lyriques et les références littéraires y sont fournies et maîtrisées.
L’histoire tient largement la route.
Falia, au moment où je pensais avoir trouvé la résolution de l’intrigue principale du roman, a trouvé le moyen d’amorcer un rebondissement supplémentaire dans son scénario. Ballottée d’une vie à l’autre, transi de suspense par une nouvelle détonation ayant sacrifié sur l’autel de la folie des hommes de nouvelles jeunes âmes innocentes, à aucun moment, je n’ai eu le temps de m’ennuyer ou de souffler.
Seul petit bémol, j’avoue être restée sur ma faim… à la fin. J’attendais plus de détails sur ce qu’il allait advenir des personnages principaux et du reste de la famille de Sally.
Ce qui fait la différence :
Je n’avais pas compris le choix de l’auteure pour son titre et sa couverture jusqu’à atteindre les trois quarts du roman. Il vous faudra certainement suivre le même processus pour déceler la partie cachée de l’iceberg que constitue ce nouvel ouvrage de Falia.
Et dans ce roman, l’auteure ne vous épargnera aucune remise en question : du terrorisme à l’exécution sommaire d’innocentes victimes, de la justification de la violence au nom de la vengeance, de l’amour à tout prix malgré la distance et les divergences d’opinions, des âmes sœurs aux destins croisés. Tout y passe !
« Alfred, te souviens-tu de tes années d’école, Alfred, quand tu allais, nonchalant et insouciant, ton sac sur le dos, flânant sur le chemin de l’école, traînaillant çà et là, ici pour ramasser quelque pierre mystérieuse dont la texture avait frappé ton imagination, là pour effaroucher un lapin ou un écureuil un peu trop impudent à ton goût ? […] Cesse de te souvenir maintenant. Imagine. […] Imagine subitement une horde d’hommes masqués et armés faisant irruption dans la classe alors que vous étiez tous concentrés sur vos cahiers, recopiant la leçon du jour, imagine la maîtresse apeurée qui essaye de sonner l’alerte et que l’on pousse brutalement, la faisant tomber alors que vous, médusés, vous ne bougez pas encore. » (Sally à Alfred P. 156)
Lorsque je terminais ce midi la lecture de l’ouvrage, j’avais la chanson de Charles Trenet qui résonnait dans ma tête. Ses mots venaient cogner à la fenêtre des souvenirs : « Que reste-t-il de nos amours, que reste-t-il de ces beaux jours… ».
Et je me disais : que reste-t-il de notre humanité lorsque les Dieux gisent à nos pieds ?
Bravo à l’auteure et belle lecture à vous !
386 pages / Septembre 2020 / Aux Éditions de l’Harmattan Sénégal
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