Où allons-nous ? Sur plusieurs continents : l’Afrique, l’Amérique, l’Europe, l’Asie
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Alia Jamal et Rafael Ly sont tous les deux étudiants en première année à l’Université Gaston-Berger à Saint-Louis, au Sénégal.
Alia, à la réputation de « poupée solitaire », est « une étoile condamnée à briller », une fille populaire qui ne se laisse pas approcher si facilement. Arrivée fraîchement dans cette nouvelle vie estudiantine, elle compte bien se débarrasser de cette image surfaite qui lui colle à la peau pour se recentrer sur l’essentiel, car finalement, c’est une fille qui veut « changer le monde », avec de grandes ambitions.
Rafael, au prénom angélique choisi par sa mère, se prépare à un destin tout tracé d’avance par son père pour devenir « le premier Sénégalais secrétaire général de l’ONU » ! Excellent élève depuis toujours, il obtient systématiquement les meilleurs résultats.
Nos deux héros vont faire connaissance dans des circonstances assez particulières, lors de la quatrième séance de travaux dirigés, dans le cours de Monsieur Tall.
« « Des volontaires pour exposer ? » Chaque semaine, la même scène se répétait et invariablement, le même silence s’ensuivait jusqu’à ce que, découragé, dépité, il se décide enfin à désigner deux étudiants. » P.24
À mon humble avis :
Ce second roman de Ndèye Fatou Fall Dieng est un pur bijou de littérature contemporaine qui a su me tenir en haleine jusqu’au bout de l’ouvrage. Impossible de trouver le sommeil avant de l’avoir terminé ! Le style d’écriture est à la fois soutenu, subtil et fluide. À chaque nouveau chapitre, l’auteure choisit une citation qui nous plonge tout de suite dans l’atmosphère prochaine qui nous attend. À travers le texte, on image le degré de connaissances de l’auteure qu’elle nous fait le plaisir de partager avec nous, lectrices et lecteurs.
Du côté des personnages du roman, on s’attache profondément à Alia et Rafael. On oscille entre la volonté de les voir former un vrai couple et celui de la peur que leur amitié en pâtisse. Entre ces âmes (parce que c’est aussi de cela dont il est question dans l’écriture de Mme Fall Dieng) il y a quelque chose qui les dépasse, des sentiments puissants qui les poussent en dehors de leurs chemins prédestinés. C’est du moins ce que l’ambiance du roman nous laisse imaginer…
« Et puis voilà, plus déroutant encore, c’était que malgré la bêtise de la puérilité de mon acte, si ç’avait été à refaire, je ne savais pas si j’aurais agi différemment. » Rafael P. 35
« Il me regarda encore, il ne me regardait pas comme les autres me regardaient. Lui avait une façon étrange de me regarder, comme quand on vous met un manteau sur les épaules un soir d’hiver. Il me regardait comme s’il voyait quelque chose à l’intérieur de moi. Tout à coup, je me sentis étrange et je sautai brusquement sur mes pieds. » Alia P. 41
Ce qui fait la différence :
L’auteure a choisi d’écrire son roman sous un style littéraire bien particulier, celui de la double narration. Ainsi, vous serez à la fois dans la tête de Rafael, puis dans celle d’Alia. Et ainsi de suite, jusqu’à la fin de Ces moments-là. Chacun va vous narrer l’histoire par rapport à ce qu’elle / il ressent et vit. C’est un choix ingénieux et enrichissant de la part de Ndeye Fatou Fall Dieng, car on se prend vite au jeu de cette structure narrative singulière.
Le livre ne s’arrête pas à la recherche mutuelle de deux êtres ballotés entre amour et amitié, loin de là. L’auteure manie son texte d’une main de maître et nous tient en haleine tout au long de l’histoire : une épidémie se répand dans les pays limitrophes au Sénégal. La mort rôde à la porte du bonheur d’Alia et de Rafael. Les épargnera-t-elle ? Qui sera fauché en premier ? Une mère, une sœur, une amie ? Leur amour, leur amitié survivra-t-elle aux épreuves si difficiles que le destin va dresser devant eux ?
« ̶ Et si nous nous donnions rendez-vous […] ici même, dans dix ans ? » P.126
Ce fléau, cette épidémie qui se répand comme une trainée de poudre et que l’auteure a choisi d’appeler « Avoli » dans son roman, a raisonné fort en moi. Il m’a fait repartir durant l’année 2014, lorsque l’OMS avait qualifié Ebola « d’urgence de santé publique de portée mondiale ». La maladie était aux frontières de notre beau pays de la Teranga, et nous tremblions toutes et tous pour notre sécurité et les vies de nos proches. Le Sénégal fut épargné, mais le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone pleuraient leurs morts par milliers. Je ne sais pas quelle est la part de vécu et de souffrance de l’auteure dans l’écriture de son roman, mais je peux vous assurer qu’à travers ce livre, si vous aussi vous avez vécu ce fléau de près ou de loin, vous tremblerez de nouveau durant sa lecture.
« « L’homme s’appelait Oumar et il tenait en otage tout un pays. Et ce fut le début de la fin ». P.59
Il faut aussi dire un mot au sujet de l’atmosphère saint-louisienne que l’auteure réussit à poser avec brio. Personnellement, je ne connais pas l’Université Gaston-Berger, je n’y suis jamais allée, mais Ndèye Fatou Fall Dieng m’y a amené. Je me suis baladée avec Alia et Rafael dans ses jardins et ses bâtiments universitaires. J’ai mangé à la cantine avec eux et leurs amis. J’ai assisté au cours de M. Tall, le professeur de Sciences juridiques et politiques. J’ai parcouru les livres de la bibliothèque centrale avec Fatou, Aida, Ouli et Ndèye.
« Le timide manguier avait produit une mangue, une seule. […] Rafael la cueillit pour moi et je la savourais les yeux dans le vide. Elle avait un goût de Soleil, des instants qui passent et des moments qui deviennent vite souvenirs, des après-midi gais et ensoleillés de printemps qui jamais ne reviennent. Et un infime soupçon du goût amer de la peur lorsque l’épée de Damoclès pend de plus en plus près. » P.54
Ndèye Fatou Fall Dieng nous avait pourtant prévenus dès le début du roman, « ceci est à propos d’amitié », « il était une fois elle et lui », l’alliance de deux âmes créées pas Dieu, au tout début du monde, des âmes que tout oppose, mais aussi totalement complémentaires et connectées par une alchimie divine et céleste. Ces âmes, sur terre, nous les appelons communément « âmes sœurs ».
Pour terminer, je reprendrai une citation choisie par l’auteure dans son roman, à la page 40 et qui appartient à Wadji Mouawad :
« Il y a des êtres qui nous touchent plus que d’autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque. » Amina
Belle lecture à toutes et à tous et bravo à l’auteure pour ce second roman !
254 pages / décembre 2018 / aux Éditions de l’Harmattan Sénégal
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